samedi 28 octobre 2017

La division par zéro

En mathématique, la division par zéro est problématique puisqu’elle n’est pas définie. Les limites nous permettent de mieux la comprendre.

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Je pense fondamentalement qu’on aspire tous à devenir de meilleures personnes. Plus j’évolue dans le domaine de l’éducation et plus je constate que cette aspiration est intrinsèque en chacun de mes élèves, de mes collègues, de mes patrons, des parents de mes élèves, toutes catégories et générations confondues. Là où les idées divergent, c’est sur la définition de ce que peut être une « meilleure personne ».

Je me désole trop souvent à croire que pour beaucoup trop d’acteurs du monde de l’éducation, « être une meilleure personne » correspond à avoir un emploi payant : une ravissante et grande maison, un chalet bucolique sur le bord d’un lac, une belle voiture luxueuse, un fonds de pension bien garni, etc. En plus, c’est souvent un matérialisme dénué de profondeur intellectuelle : avouons qu’il est rare d’entendre une personne aspirant à la richesse dire que c’est dans le but de garnir une énorme bibliothèque, de se procurer un Steinway pour jouer du Stravinsky ou d’ajouter des films à leur collection des grands classiques du cinéma.

Demandez à des élèves de quatrième ou cinquième secondaire pourquoi ils vont à l’école et vous constaterez que leur réponse concernera quasi systématiquement l’argent ou le prestige.

À un élève vraiment démotivé, il y a quelques années, j’avais posé la question difficile : « pourquoi viens-tu à l’école? » :

- Je vais à l’école pour devenir avocat.
- Ah oui? Tu es passionné par le droit? Les lois?
- Hm? Non, vraiment pas!
- La justice? Tes amis trouvent que tu es de bon conseil? Tu aimes argumenter?
- Ben oui… mais pas tant que ça là…
- Avez-vous fait un débat en français? Comment as-tu trouvé ça?
- Oui, on en a fait un. J’ai haï ça… Ça prend plein d’organisation pis en plus j’étais pas d’accord avec ce que je devais défendre…
- Mais tu sais que si tu deviens avocat, tu vas avoir à faire ça très souvent…
- Ben, au moins, c’est payant.

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Une division est composée d’un dividende, d’un diviseur et d’un quotient. Un dividende est l’élément que l’on divise, le diviseur est celui qui divise et le quotient est le résultat de la division. Observons la variation d’un quotient par rapport à celle d’un diviseur dont on diminuera la valeur graduellement :

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Plus le diviseur se rapproche de zéro, plus le quotient est grand. Certaines personnes poseraient probablement l’hypothèse que lorsque le diviseur est zéro le quotient d’une division est l’infini…

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Leurs parents et leurs enseignants leur ont répété depuis qu’ils sont tout petits : « Si tu ne vas pas à l’école, tu n’auras pas d’emploi et tu ne gagneras pas d’argent. » Cette phrase s’apparente à celle-ci, que j’ai entendue de nombreuses fois depuis que j’enseigne : « Va à l’école, sinon tu vas travailler au McDo toute ta vie! ». Cette phrase conduit malheureusement la réflexion de l’enfant vers une école profitable exclusivement au monde du travail.

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Tentons de faire le même exercice avec des diviseurs négatifs qui se rapprochent de 0.

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Plus le diviseur se rapproche de zéro, plus le quotient est petit. Certaines personnes poseraient probablement l’hypothèse que lorsque le diviseur est zéro le quotient d’une division est moins l’infini…

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Je ne détiens pas la solution.

Affecté par une société qui rejette la culture générale et la curiosité au profit de l’enrichissement et du bien matériel.

Las d’une éducation contradictoire qui cherche à soigner son image en souhaitant à la fois la neutralité de ses employés et l’émancipation de ses élèves.

Saturé de voir ces parents astiquer leur enfant comme s’il s’agissait d’un trophée que l’on exhibe devant la visite.

Épuisé de ces gens qui associent la marque d’une voiture avec la réussite ou un veston griffé avec le succès.

Écœuré par ces valeurs superficielles au dénominateur.

Tanné de ne pas détenir de solution.

jeudi 26 octobre 2017

Les gens de ma horde…

Quand leur confort est en péril
Ils cachent leur fiel dans leur tanière
Les préjugés qui se faufilent
Fallacieusement dans leur prière
Gagnent du terrain et se profilent
Dans les bergeries débonnaires

Bien à la mode, ils mettent leur griffe
Sur les murs de tous les réseaux
Maudire leur raisonnement hâtif
Ne vous attirera que leurs crocs
Quand tous les faits alternatifs
Sont engloutis par le troupeau

Quand les débats les font rougir
Ils fardent de mauvais les saisons
Le meilleur se transforme en pire
Et le beau temps en dépression
Les grands-mères deviennent des vampires
Même dans le cœur du chaperon

Ils jettent de l’huile sur tous les feux
De paille et de mèche plus que courtes
Les mots sans bois sont malheureux
Dans les messages qu’ils écoutent
Fanaux et briques chez celles et ceux
Qui abominent et qui redoutent


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mercredi 25 octobre 2017

Banque

Œuvre de fiction

Monsieur Loiselle est un enseignant passionné qui enseigne à des élèves ordinaires. Il transmet depuis une trentaine d’années son amour de la langue en réservant une quinzaine de minutes à chacun de ses cours en parlant de l’étymologie d’un mot en particulier.

Huit heures moins cinq. La première cloche sonne. C’est le signal donné aux élèves afin qu’ils se présentent à leur cour. Conditionnement de Pavlov. Ça bourdonne, tout va vite. Sauf dans la classe de Monsieur Loiselle : c’est le calme avant la tempête. Mis à part le froissement des pages du journal que monsieur Loiselle tourne soigneusement et l’aspiration peu ragoûtante de sa dernière gorgée de café, aucun autre son ne se fait entendre.

Huit heures deux. Les élèves discutent encore, les pattes des pupitres grincent et monsieur Loiselle dépose son journal. Il écrit le mot « banque » au tableau. Comme monsieur Loiselle est un verbomoteur incomparable, ses élèves ont l’impression d’avoir un congé de cours durant ce temps-là. Or, Monsieur Loiselle sait très bien qu’avec son happening, il contribue à enrichir la culture générale de son public. Il sait que ses collègues disent dans son dos que c’est racoleur, mais il s’en moque bien.

À l’avant de la classe il colle trois chaises comme pour en faire un banc. Il demande à un élève volontaire de s’installer sur une des chaises. En imitant l’accent italien, il se présente à l’élève en lui disant qu’il peut lui prêter de l’argent à un certain taux d’intérêt.

Huit heures quatre. On cogne à la porte : un élève en retard. Monsieur Loiselle sort de son personnage pour aller répondre. Billet, retard non motivé, retard à consigner dans le dossier informatisé de l’élève, retenue le soir à donner à l’élève, message au dossier de l’élève pour aviser les parents.

Huit heures sept. Le groupe attend. Monsieur Loiselle reprend son personnage en sortant un billet de cent dollars et en proposant à l’élève de lui prêter. On cogne à la porte à nouveau. Un autre élève en retard. Billet, retard motivé : « appel mère OK », retard motivé à consigner dans le dossier informatisé de l’élève. Tant qu’à y être, aussi bien consigner les absences. Josée est absente.

Huit heures dix. Le groupe attend. Monsieur Loiselle reprend son personnage et malgré sa grande expérience, il en oublie un peu où il était rendu. On cogne à la porte une troisième fois. Josée. Monsieur Loiselle abandonne son activité traditionnelle, le groupe ne suivait plus de toute manière.

Billet, retard non motivé : « mais mon père va motiver ce soir », absence à transformer en retard non-motivé dans le dossier informatisé de l’élève note sur un post-it : « vérifier motivation Josée ». Confiant, il espère tout de même que quelques-uns ont compris que les banquiers lombards du nord de l’Italie accomplissaient leur travail dans des lieux ouverts et s’installaient sur des bancs.

Quinze heures cinq. Vérification des motivations. Retard non motivé. Reprise de temps à préparer.

Pour des gens qui ont soi-disant toujours tort, ils accaparent beaucoup d’attention, ces absents…

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